lundi 25 septembre 2017

L'Union européenne, la France ou la Nouvelle-Calédonie

Voici un extrait d'un interview donné le 14 septembre par Jean Tirole au journal « Le Monde » :

« L’Europe est-elle une nécessité ?
Nous avons besoin de l’Europe. Nous n’existons pas au niveau international sans elle, que ce soit du point de vue diplomatique ou économique. Mais pour cela, nous devons reconstruire le rêve européen, c’est-à-dire une volonté de vivre ensemble avec des lois communes.
Je vois que la tendance générale, c’est plutôt le chacun-chez-soi. On ne veut pas d’étrangers, de migrants, de ceci, de cela. Et ce ne sont pas uniquement les laissés-pour-compte de la mondialisation qui tiennent ce discours. Or, comme la quasi-totalité des économistes, je pense que le protectionnisme est une mauvaise politique. Il diminue le pouvoir d’achat des gens qui n’ont pas accès aux produits du monde entier et crée des monopoles. Au bout d’un certain temps, ceux-ci n’innovent plus et produisent à des coûts très élevés. C’est un jeu à somme négative, puisque le monde devient protectionniste dès lors que vous l’êtes vous-même. »

La volonté de vivre ensemble avec des lois communes est une aspiration quasiment universelle. Seulement, chacun a sa propre idée sur l'ensemble concerné. Ce peut être l'Union Européenne, la France ou la Nouvelle-Calédonie. Toute la construction européenne consiste à étendre le champ d'application des lois communes. Pour les partisans de l'Europe, l'objectif est d'avoir un état fédéral comme les États-Unis d'Amérique. Cela passe, entre autres, par une harmonisation fiscale et sociale. Le président de la République a toujours affiché sa volonté de relancer la construction européenne. Dans son très important discours du 7 septembre à Athènes, il dit que c'est son principal projet politique. Ce discours est beaucoup trop long pour être cité in-extenso, mais en voici un extrait significatif :

« C’est cela, l’histoire de la décennie qui s’achève : une forme de guerre civile interne où on a voulu regarder nos différences, nos petites trahisons et où nous avons en quelque sorte oublié le monde dans lequel nous étions ; où nous avons préféré corriger ces petites différences et ces petites trahisons en oubliant que, face à nous, il y avait des puissances radicalement différentes et que la seule question qui nous était posée, c’est : comment faire de la zone euro une puissance économique qui puisse tenir, face à la Chine et face aux États-Unis ? Comment faire de notre Europe une puissance diplomatique et militaire qui puisse défendre nos valeurs et nos intérêts, face à des régimes autoritaires qui émergent des crises profondes qui peuvent nous bousculer. C’est cela notre seul défi, et pas un autre.
Alors oui, je veux que nous retrouvions, par la réconciliation d’une Europe qui sait conjuguer à nouveau la responsabilité et la solidarité, la force d’une souveraineté qui ne soit pas que nationale mais bien européenne. »

Il y a, en France, des gens qui rejettent cette idée d'aller vers une souveraineté européenne et ils sont nombreux. L'extrême-droite et l’extrême-gauche sont clairement contre. Et certains voudraient, même, au contraire que la France sorte de l'Union Européenne. Mais, sur ce point, le programme d'Emmanuel Macron était très clair et il a donc la  légitimité pour faire ce qu'il préconise.
Si par exemple, nous arrivons à une harmonisation fiscale en Europe, la voix de n'importe quel européen (par exemple, un Italien) aura autant de poids que celle d'un Français pour faire évoluer la fiscalité française puisque cette fiscalité serait celle de l'Union Européenne toute entière. La solidarité et les lois communes vont de pair. Dans l'Union Européenne, par construction, les lois communes s'imposent et l'emportent sur les lois de chaque état.
Les premières lois communes et les plus fondamentales sont celles de la libre circulation des biens et des personnes à l'intérieur de l'Union Européenne, celles qui donnent les mêmes droits en matière d'emploi à tous les citoyens européens.
Au contraire, la très grande majorité des citoyens calédoniens considèrent que les lois de la Nouvelle-Calédonie doivent être faites par les seuls citoyens calédoniens. C'est logique pour les indépendantistes mais c'est aussi le cas de la plupart des loyalistes. Comment peut-on vouloir que la Calédonie fasse partie de la France, demander une solidarité, notamment financière aux français de métropole, mais refuser la solidarité inverse ? Les Calédoniens revendiquent de voter les lois de la république française, notamment en élisant des députés, mais ils n'admettent pas que les zoreilles puissent voter en Nouvelle-Calédonie. Ils demandent, quand ils sont en métropole, d'avoir le même droits que les métropolitains mais ils ne veulent pas que les zoreilles aient les même droits qu'eux en Nouvelle-Calédonie. C'est choquant. La solidarité qui caractérise une nation, ils n'en veulent pas ou plutôt, ils la veulent entre citoyens calédoniens.
Un Calédonien est chez lui en France alors qu'un Français est avant tout un étranger en Nouvelle-Calédonie.  Je me demande, finalement, ce que cela veut dire être loyaliste. Est-ce seulement exiger que les Français comblent les déficits de la Nouvelle-Calédonie, est-ce une solidarité à sens unique ?

L'histoire de l'Union européenne c'est une marche vers l'intégration, c'est une marche de convergence des peuples, c'est une marche pour constituer une nation. Dans le même temps, l'histoire de la Nouvelle-Calédonie dans la France, c'est une marche de divergence de plus en plus accentuée. Aujourd'hui, il y a déjà une plus grande solidarité entre un Français et un Belge, qu'entre un Français et un Calédonien. Il y a un parlement européen où l'on peut établir des lois communes à l'Union Européenne. Si les Calédoniens décidaient d'entrer dans l'Europe, ils pourraient le faire, mais ils ne le veulent pas car cela supposerait que les lois votées par le parlement européen s'appliqueraient automatiquement à la Nouvelle-Calédonie. Pour la même raison, même les Calédoniens qui se disent loyalistes ne veulent pas que les lois votées en France s'appliquent en Nouvelle-Calédonie. Par exemple, ils veulent que les impôts soient décidés par le congrès et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et ne soient pas les mêmes que ceux des Français. Michel Rocard disait « L'indépendance, vous l'avez déjà ». C'est une évidence et le vote du référendum de 2018 ne changera rien à cet état de fait.
Je pense que quel que soit le résultat du référendum, il y aura, un jour, un divorce total entre la France et la Nouvelle-Calédonie, soit parce que les français de métropole finiront par se lasser de payer pour un état indépendant de la France, soit parce que l'Union Européenne n'acceptera plus que les Calédoniens profitent des avantages de l'Europe pendant que la Nouvelle-Calédonie refuse d'entrer dans l'Europe. Il y aura un rejet de la Nouvelle-Calédonie car les Calédoniens ont déjà rejeté les Français et les Européens.

Christian Bernardi

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire