jeudi 10 août 2017

Les corollaires d’un état fédéral

On a beaucoup parlé dans les journaux d’une proposition de Jean-Jacques Urvoas sur le futur statut de la Nouvelle-Calédonie. Si j’ai bien compris, il propose de faire un état fédéral dans lequel, il y aurait 2 états, la Calédonie et le reste des territoires français. Évidemment, cela peut paraître bizarre pour la disproportion de taille entre les 2 états qui composerait cette fédération, mais cela n’est pas rédhibitoire. Il est même possible que certaines  régions françaises demandent, par la suite, le même statut que la Nouvelle-Calédonie, qui se caractérise par une très large autonomie. 
Toutefois, dans un état fédéral, si un habitant déménage d’un état vers l’autre, par exemple de la Floride vers la Californie, il est immédiatement soumis aux règles de son lieu d’habitation. Dans notre exemple, il devient instantanément un Californien à part entière.
Cela voudrait dire qu’un Français se déplaçant de Marseille à Nouméa, ou de Tahiti à Nouméa aurait immédiatement le droit de vote aux élections provinciales, exactement comme il a immédiatement le droit de vote dans sa nouvelle commune. Avec ce déménagement, il aurait instantanément la citoyenneté Calédonienne. C’est ce qui se fait déjà pour presque tout, les impôts, par exemple.
Les règles de priorité à l’emploi local n’auraient pas à être changées, mais elles en seraient profondément affectées. Le postulant à un emploi en Nouvelle-Calédonie passerait après les autres tant qu’il n’aurait pas déménagé en Nouvelle-Calédonie. Ce déménagement fait, il aurait les mêmes droits que les autres Calédoniens.
Ceci devrait être possible pour tous les européens, ce qui permettrait de respecter le traité de Rome.
Aujourd’hui, il y a une dissymétrie de droits entre un les Calédoniens et les autres Français. Christian Karembeu quand il s’est installé en Corse, a eu immédiatement les mêmes droits que les Corses. Moi qui suit d’origine Corse, après 18 ans de résidence en Nouvelle-Calédonie, je n’ai pas les mêmes droits que les Calédoniens. Un juriste, qui ne connaîtrait pas l’histoire, en déduirait que c’est la Nouvelle-Calédonie qui a colonisé la France et non l’inverse.
L’état fédéral corrigerait cette anomalie.

L’état fédéral résoudrait le problème de la nationalité. Tous les calédoniens conserverait la nationalité française. 
 Au contraire, la revendication d’indépendance ouvre un imbroglio pour la question de la nationalité. A mon avis, c’est un abus de langage de parler aujourd’hui d’indépendance, on ferait mieux parler de sécession. Quand l’Inde est devenue indépendante, ses habitants n’avaient pas la nationalité du Royaume-Uni. De même les Algériens n’avaient pas la nationalité française. L’indépendance de la Californie s’apparenterait plus à une sécession comme l’a fait l’Irlande, comme pourrait le faire le Québec, la Catalogne ou l’Écosse. Dans les cas de sécession, la règle habituelle est que les habitants perdent la nationalité ancienne pour acquérir la nationalité du nouveau pays. 
Les Irlandais n’ont pas conservé la nationalité du Royaume-Uni.
Je ne vois pas de raison de ne pas faire de même en cas de sécession de la Nouvelle-Calédonie. Il me semble que les citoyens Calédoniens devraient avoir le droit de choisir entre la nationalité calédonienne et la nationalité française mais pas de conserver les deux.
Il me semble aussi que les partisans de l’indépendance restent très flous sur cette question de nationalité. 
En tout cas, ils devraient savoir que les règles qui fixent la nationalité française sont, par définition, définies par la république française, pas par la Nouvelle-Calédonie, qui serait devenue indépendante. 
Si un statut d’état fédéral est choisi, il restera à déterminer les impôts et les compétences fédérales. Il serait également très importants de savoir si les lois sociales, s’appliquent au niveau fédéral ou au niveau de chaque état. 

Christian Bernardi

lundi 7 août 2017

Le clivage et la stagnation

La Nouvelle-Calédonie jouit d’une très grande autonomie, à tel point que Michel Rocard, en visite à Nouméa, a pu dire « L’indépendance, mais vous l’avez déjà ! ». Et c’est vrai que la Calédonie a son propre gouvernement et son propre parlement qui vote les lois et qui fixe les impôts qui sont assez différents de ceux de la France.
Parlons des compétences régaliennes. Le franc Pacifique est arrimé à l’Euro par une parité fixe. La France n’a pas plus la maîtrise de sa monnaie que la Nouvelle-Calédonie. 
La défense ? Très probablement, en tout cas je l’espère, la défense française va se fondre dans la future défense européenne.Est-ce que la Nouvelle-Calédonie a besoin d’une armée ? 
La police, la justice  ? Il est probable que même si la Calédonie devenait indépendante, elle demanderait l’aide de la France sur ces sujets. Est-ce que la Calédonie a les moyens d’avoir son propre code civil, de former ses magistrats, huissiers etc ? 
De toutes façons, cette question des compétences régaliennes doit être tranchée par le référendum  de 2018, suivi éventuellement de 2 autres référendums.
On peut donc dire que la question de l’indépendance est quasiment réglée.

Et pourtant, la plupart des Calédoniens votent d’abord en se réclamant du camp indépendantiste ou du camp loyaliste. Et ceci quelle que soit l’élection, même s’il s’agit d l'élection pour les députés européens, par exemple.

Ceci peut paraître absurde, mais en réalité cette situation est voulue par une très grande partie de la classe politique calédonienne et les électeurs réagissent en suivant ce schéma.
En France métropolitaine, le débat politique est formatée par l’opposition droite-gauche. En Nouvelle-Calédonie l’opposition loyalistes-indépendantistes recouvre l’opposition droite-gauche mais en diffère toutefois. Le camp loyaliste réunit tous les partis de droite, mais pas seulement. 
Le camp indépendantiste se situe à gauche, plus par opposition au camp loyaliste que par conviction profonde, d’où la faible implication dans les élections nationales. Enfin, il y a une partie non négligeable des électeurs qui se sentent idéologiquement de gauche ou du centre, mais qui sont viscéralement contre l’indépendance. 
Tout ceci fait que la gauche est beaucoup plus faible que la droite dans toutes les élections.
Il s’ensuit que les réformes de gauche sont très rares.
Par exemple, la première mesure de Nicolas Sarkozy a été de baisser les droits de succession. Le gouvernement d’Harold Martin a immédiatement baissé aussi les droits de succession qui étaient déjà plus faibles qu’en Métropole. La première mesure de François Hollande a été d’augmenter les droits de succession. Il ne s’est évidemment rien passé de tel en Nouvelle-Calédonie.
 C’est la raison principale pour laquelle la Nouvelle-Calédonie  affiche un retard énorme et toujours grandissant avec la Métropole en matière sociale et que les inégalités en Nouvelle-Calédonie sont 3 fois plus importantes qu’en Métropole.

Le clivage en matière institutionnelle a conduit à la stagnation sociale.

On comprend que la droite se satisfasse de cette situation. Ce sont les autres qui doivent absolument changer de stratégie. 
Il semble que le parti socialiste, en Nouvelle-Calédonie, a enfin compris que son association systématique avec les indépendantistes, lors des élections, était une erreur stratégique. Je crains que son changement de nom et les déclarations récentes de son secrétaire, ne suffisent pas à effacer, pour les calédoniens, son image d’auxiliaire des indépendantistes.
Les leaders indépendantistes doivent s’interroger. Pour certains, le discours anti-français sert à masquer leur insuffisance idéologique et leur incapacité à gérer. Je pense toutefois que la grande majorité des leaders indépendantistes sont responsables et conscients qu’ils représentent une population défavorisée. J’espère qu’ils comprendront que leur devoir prioritaire est, maintenant, de faire progresser la Nouvelle-Calédonie dans le domaine social. De toutes façons, il est peu vraisemblable que la Calédonie qui est allée extrêmement loin dans le domaine de l’autonomie, aille plus loin dans cette voie.

Enfin, il y a aujourd’hui, la place en Nouvelle-Calédonie, pour un parti qui soit clairement beaucoup   moins à droite que les partis loyalistes. La République En Marche pourrait prendre ce créneau. Politiquement, en Métropole, elle est positionnée au centre. Le centre, en métropole, c’est plutôt la gauche en Nouvelle-Calédonie car l’électorat moyen est bien plus à droite en Nouvelle-Calédonie qu’en Métropole. LREM ne s’est pas encore compromis dans le combat entre loyalistes et indépendantistes. Et donc LREM peut accueillir des indépendantistes et des loyalistes. C’est, d’ailleurs, ce qui s’est passé au second tour de la présidentielle : Des indépendantistes et des loyalistes ont appelé à voter pour le même candidat, Emmanuel Macron.
LREM peut préserver cette position unique à condition de se concentrer sur le domaine social, où il y a tant à faire et rester silencieux sur le domaine institutionnel qui a déchiré les Calédoniens, mais qui devrait être un sujet du passé dans très peu d’années. 
Toutefois LREM a de très grandes faiblesses pour devenir un parti important et même le plus important en Nouvelle-Calédonie. La faiblesse la plus évidente est son organisation interne. Au moment où ce texte est écrit, toutes les réflexions et toutes les décisions sont prises par un petit noyau autour d’Emmanuel Macron. En Calédonie, Il n’y a pas véritablement une réflexion et un vrai parti. Il y a, pour le moment, seulement des supporters d’Emmanuel Macron. Or ce n’est pas de Paris que viendront les propositions et les hommes qui feront les futures lois de la Nouvelle-Calédonie.  C’est cette faiblesse qui a empêché LREM d’investir des candidats aux législatives. J’espère que ce parti calédonien se constituera rapidement. S’il ne constitue pas en association avec La République En Marche, il est fort possible et même probable qu’un autre parti se positionnant sur le même créneau, voit le jour. 

Christian Bernardi

mercredi 2 août 2017

La colonisation en Calédonie : Un crime contre l’humanité ?

Emmanuel Macron a déclaré en février 2017 que la colonisation était un crime contre l’humanité. Même s’il répondait à une question d’un journaliste algérien, il n’y a aucune raison de penser que cette phrase s’appliquerait moins à la Nouvelle-Calédonie qu’à l’Algérie.
A l’heure actuelle, la notion de crime contre l’humanité est associée à la notion de génocide.
En Tasmanie, il y a eu vraiment un génocide organisé des aborigènes. On peut donc dire que la colonisation de l’Australie a été un crime contre l’humanité. Comme il n’y a pas eu de génocide envers les Kanaks, on ne peut pas parler de crime contre l’humanité, par contre, on pourrait parler d’attentats contre l’humain comme Jean Jaurès.

La prise de possession de la Nouvelle-Calédonie l’a été par la force, par la guerre. La guerre est un crime ordinaire des peuples. Avant l’arrivée des européens les Kanaks se faisaient constamment la guerre. Après la prise de possession par la France, ces guerres n’ont pas cessé et l’administration coloniale restait assez indifférente. Par contre, si un européen était tué, une expédition punitive était organisée, le plus souvent avec l’aide de certaines tribus Kanakes. Il y avait un double but, d’une part la punition exemplaire devait être dissuasive, d’autre part c’était l’occasion de confisquer les terres des tribus dont certains membres avaient participé au meurtre d’un européen. C’est en partie ainsi que l’administration coloniale a obtenu les terres qu’elle a redistribué aux colons.
A coté de ces crimes ordinaires, il y a eu le régime de l’indigénat, qui est vraiment un crime contre l’humain car c’est celui d’une vision raciste de l’humanité. Il y avait d’un coté la race supérieure, la race blanche et d’un autre coté les races inférieures, celle des indigènes colonisés.
Juridiquement, cette vision raciste s’est traduite par le code de l’indigénat. C’est un document qu’il faut absolument avoir lu. On y détaille les droits et devoir des indigènes, par exemple le droit de circuler était réglementé. Pratiquement, sauf exception, les Kanaks n’avaient pas le droit se sortir de leur tribu. Ils devaient, à l’administration coloniale, un certain nombre de jours de travail gratuit. On comprend bien, à travers ce document, que les indigènes font partie d’une race inférieure.

Le code de l’indigénat a été abrogé en 1946 et les kanaks sont devenus des citoyens français comme les autres avec les mêmes droits de vote. Il n’y a pas eu un collège électoral particulier pour les kanaks.
En Afrique noire et en Algérie, le code de l’indigénat a également été abrogé mais les indigènes ne sont jamais devenus des citoyens français comme les autres. En Afrique noire, il était évident que les indigènes n’avaient pas vocation à devenir des citoyens français. C’est pourquoi, la question de l’indépendance ne s’est pas vraiment posée. Il était clair, pour tout le monde, que ces colonies devaient, à terme, devenir des états indépendants. La seule question qui se posait était celle de l’organisation de cette indépendance.
En Algérie la situation était plus ambiguë. Il y eu un collège électoral propre aux indigènes et ces indigènes n’ont jamais eu la nationalité française. Cette situation reflétait l’indécision de la France. Beaucoup de Français, voulaient que l’Algérie fasse partie de la France, mais la majorité ne voulait pas que les algériens musulmans deviennent des citoyens français.
Finalement, la seule solution raisonnable l’a emporté : celle de l’indépendance. Si on avait écouté les partisans de l’Algérie Française et que l’on avait accordé la nationalité française à tous les Algériens, il y aurait aujourd’hui plus de français musulmans que de français chrétiens. On aurait, une frontière immense, celle de l’Algérie par laquelle tous les migrants d’Afrique pourraient entrer en France.
Il faut également dire que les bienfaits de la colonisation en Nouvelle-Calédonie, ont été immenses. La paix, l’éducation, la santé, le confort et surtout les valeurs modernes comme l’égalité entre hommes et femmes et la démocratie ont été apportés en Calédonie en même temps que la colonisation.
La colonisation est bien terminée mais les séquelles sont bien présentes.
La répartition des terres entre les Kanaks, les descendants de colons et le domaine public (états, provinces, communes) est une de ces séquelles.
Le fait qu’il subsiste un régime de droit coutumier, réservé aux seuls Kanaks, est également une séquelle de cette colonisation.
Je reviendrais dans d’autres articles sur chacun de ces 2 points, car ils méritent chacun un développement plus important.

Pour finir, un avis sur le rôle de la France dans la colonisation n’implique aucun jugement moral sur les français d’aujourd’hui. Chacun est responsable de ses actes et seulement de ses actes. De même qu’un allemand d’aujourd’hui n’est pas responsable de ce qu’a pu faire l’Allemagne nazie, un Français d’aujourd’hui n’est pas responsable de la rafle du Vél d’Hiv ou de la colonisation de la Nouvelle-Calédonie, ni de ses aspects positifs, ni de ces aspects négatifs.

Christian Bernardi